Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de Romuald Vaudry, Gestionnaire forestier professionnel en poste à l’Institut Européen des Forêts et Gérant du Groupement Forestier Citoyen et Écologique (GFCE) du Turfu, qu’il a co-fondé en 2023 avec 12 associé(e)s. Depuis, le collectif est devenu propriétaire d’une forêt de 31 hectares sur la commune d’Escouloubre (11), avec pour objectif d’y pratiquer une sylviculture douce.
Bonjour Romuald, merci de m’accueillir dans ce van confortable au pied de ta forêt, pour que tu nous racontes ton aventure du Turfu. Pour commencer, peux-tu te présenter rapidement ?
Mon parcours est assez atypique. J'ai commencé par un bac agricole en Normandie, car je voulais travailler dans la biologie et l'écologie. C'est durant cette période, au contact du monde agricole et des chasseurs, que j'ai développé une passion pour la forêt.
Après un BTS Gestion Forestière à Mirecourt, j'ai intégré le CRPF de Normandie où j'ai travaillé pendant 12 ans. Mon intérêt pour les forêts tropicales m'a ensuite poussé à prendre une année sabbatique à Madagascar pour mieux comprendre ces écosystèmes. J'ai ensuite repris mes études en obtenant un Master 2 en développement et aménagement des territoires à AgroParisTech et à l'Université de Montpellier, me spécialisant dans la réduction des émissions issues de la déforestation.
Cette expertise m'a permis de décrocher un poste passionnant à la Fondation GoodPlanet à Madagascar. Pendant huit ans, j'ai travaillé à la création et au développement de projets de lutte contre la déforestation, notamment en mettant en place une aire protégée durable qui existe toujours.
Par la suite, j'ai co-fondé l'ONG NITIDAE, poursuivant mon engagement en Côte d'Ivoire et au Sénégal sur des problématiques similaires. Il y a cinq ans, j'ai rejoint l'Institut Européen de la Forêt (EFI). Fort de ces années d'expérience sur le terrain, en particulier dans les forêts tropicales, j'ai décidé de lancer mon propre projet.

Peux-tu nous en dire plus sur la génèse et la raison d’être du GFCE du Turfu ?
C’est en faisant des recherches sur la gestion écologique et collective des forêts, que je suis tombé sur la dynamique des GFCE via un post de Pierre Demougeot, d'Avenir Forêt, un autre GFCE du sud-ouest. J’ai été séduit par le modèle, et j’en ai parlé autour de moi, notamment à des amis collapsologues qui réfléchissaient à investir dans le milieu rural en cas d’effondrement, pour y greffer différents projets liés à l’auto-suffisance. Certains voulaient se lancer dans la création d’un verger, d’autres dans des projets de menuiserie. Pour des raisons pratiques, nous avons choisi d'installer notre collectif dans les Pyrénées, et j’ai entamé les recherches de forêts à vendre.
Durant nos recherches, nous avons découvert le village d’Escouloubre qui, comme de nombreux autres petits villages français, est en voie de dévitalisation. Les commerces ferment, les jeunes s’en vont, mais la fête du village perdure ! Cela nous a donné une motivation de plus pour nous installer dans cette commune et nous investir dans le tissu économique et social local. Notre collectif rassemble des personnes aux origines très différentes, nous avions donc besoin d’un territoire ouvert. Ce village, dont une grande partie des habitants sont sensibles aux valeurs écologiques et sociales, s'est avéré être un lieu propice pour un projet écologique et de gestion participative.
Pourquoi avoir choisi les Pyrénées pour acheter votre première forêt ? Et pourquoi avoir choisi la Sylviculture Mélangée à Couvert Continu comme mode de gestion ?
J'ai cherché une forêt qui ne soit pas trop éloignée de chez moi, en France, et dont le climat serait adapté pour faire face au dérèglement climatique. Je suis tombé sur cette forêt via LeBonCoin, située à 1400 mètres d’altitude. Elle est diversifiée et typique des Pyrénées, ce qui m'a tout de suite intéressé.
Lorsque j'ai rencontré l'ancien propriétaire, le contact est très bien passé. Mon premier argument a été de ne pas négocier le prix de vente. Cela a montré notre sincérité et a permis de créer un lien de confiance. Le fait que je sois forestier a aussi joué en notre faveur. J'ai pu le rassurer sur la gestion durable que nous allions mettre en place en lui parlant de la Sylviculture Mélangée à Couvert Continu (SMCC), et en le rassurant sur le fait qu'il n'y aurait jamais de coupes rases.
Nous avons fait le choix de ce mode de gestion, comme la totalité des autres GFCE, pour des raisons à la fois écologiques et économiques. En effet, si l’aspect écologique est avéré par des interventions plus raisonnées en forêt, la dimension économique est tout aussi intéressante. La SMCC est moins risquée, car elle demande moins d'investissements, génère moins de charges et assure un revenu dans le temps. En produisant des bois de grande qualité de manière constante, la SMCC s'avère plus rentable sur le long terme.
Ce modèle de gestion durable nous permet aussi de nous inscrire pleinement dans l'écosystème du village. Nous voulons travailler avec les acteurs locaux, pourquoi pas en rejoignant le conseil municipal pour contribuer à l'évolution de la filière-bois locale.

Peux-tu m’en dire plus sur le territoire où nous nous trouvons ? Quel impact positif souhaitez-vous y apporter sur le court terme terme ?
Le territoire où nous sommes est typique des Pyrénées. On y observe une déprise agricole qui fait que les forêts gagnent du terrain. En parallèle, les villages se désertifient, manquant de commerces et de services. Pourtant, certains des village du coin bénéficient d’un gros budget grâce à la vente d’énérgie hydraulique. Il y a un grand potentiel de restauration du bâti et un besoin évident de rajeunir ces villages, un défi auquel répondent de plus en plus de néo-ruraux qui s'y installent. Notre groupement souhaite d'ailleurs activement contribuer à la mise en œuvre de la charte forestière du Pays de Sault pour dynamiser le territoire.
La particularité des forêts des Pyrénées est la prédominance de hêtraies-sapinières naturelles, qui sont déjà bien gérées par les forestiers locaux. On trouve également des plantations d'épicéa datant des années 60 (FFN), mais les coupes rases sont rares, car la culture forestière locale privilégie des méthodes plus durables. Les coupes rases sont de toute façon, irrationnelles : elles sont brutales pour la biodiversité, difficiles et coûteuses en termes de replantation, et égoïstes pour l'avenir du paysage. Notre objectif est de trouver le bon équilibre pour avoir des forêts à la fois productives et respectueuses de l'environnement, car nous avons besoin de plus de bois pour éviter le métal et le plastique.
La gestion de la forêt de montagne présente des défis importants en raison de la difficulté d'accès et de la faible concurrence des acheteurs. Le prix du bois sur pied est si bas qu’il ne couvre pas les coûts d'exploitation et ne laisse qu'une faible marge pour les propriétaires. C'est pour cette raison que nous voulons aller plus loin que la simple vente de bois et développer des projets de transformation sur place pour apporter de la valeur ajoutée au bois et au territoire.

Raconte-nous ce projet de valorisation locale de vos bois
J'ai vite réalisé que le prix qu'on nous proposait pour des bois de 50 ans était une misère. C'est presque comme un don pour l'approvisionnement en bois de la Nation. Les propriétaires et les forestiers ne touchent pas grand-chose, ce sont surtout les intermédiaires qui s'en mettent plein les poches, comme dans l'agriculture. C'est d'autant plus frustrant que l'exploitation en montagne est plus coûteuse. Il manque clairement de débouchés et de concurrence pour les acheteurs.
Notre ambition est de créer un circuit court. En sciant les bois nous-mêmes et en les faisant sécher, nous pouvons les vendre transformés et augmenter significativement leur valeur. Le bois de sapin, par exemple, passe de 20 € à 100 € le mètre cube une fois scié. Notre but n'est pas la rentabilité à tout prix, ce qui nous permet de prendre le temps de bien faire les choses. En développant cette activité, nous pourrions non seulement valoriser le bois de notre groupement, mais aussi celui de la forêt communale voisine, apportant ainsi une réelle valeur ajoutée au territoire.
Nous avons réalisé nos premières coupes cet été, dans une volonté d’irrégulariser certaines zones de la forêt - notamment les plantations. Au total, nous avons récolté plus de 1000 m3 de bois, et nous avons fait appel à une scierie mobile pour en transformer une partie en planches, qui ont été vendues à des particuliers ou des entreprises locales.
Quelle est votre ambition pour le GFCE du Turfu ? Souhaites-tu en vivre un jour ?
Je souhaite que notre forêt devienne lieu de vie, hospitalier et accueillant - une préoccupation de beaucoup, notamment dans un contexte de collapsologie. À plus long terme, d'ici 10 ans, j'espère avoir acheté d’autres forêts, pour atteindre environ 100 hectares - en fonction des opportunités qui se présentent. Mon ambition est de pouvoir y consacrer une partie de mon temps et à terme, d'intégrer d'autres forestiers pour partager les missions de la Gérance. Nous voulons aussi développer notre activité de valorisation du bois et devenir un fournisseur régulier pour les projets locaux.
Si je n'avais pas déjà un métier, j'explorerais sérieusement la possibilité de vivre de ce GFCE. C'est une vraie opportunité, intéressante à explorer pour des gestionnaires forestiers. Une fois que vous êtes bien implanté et que vous faites du bon boulot, les gens viennent d'eux-mêmes vous proposer des forêts à gérer, voire à récupérer. Même si les propriétaires ne sont pas forcément vendeurs au départ, la confiance crée une dynamique. Je considère les GFCE comme une vraie piste d'avenir pour les forestiers.
Merci Romuald et à bientôt en Forêt !


Groupement Forestier du Turfu
Groupement Forestier Citoyen et Écologique (GFCE)
- Localisation : Escouloubre, Aude (11)
- Date de création : 2023
- Nombre d'associé(e)s : 13
- Surface de forêt : 31 hectares
- Gérance : Romuald Vaudry, gestionnaire forestier