GFCE du Turfu : oeuvrer au développement local grâce à la filière forêt-bois

Escouloubre, Pyrénées Audoises

Partons avec notre parapluie, à la rencontre de Romuald Vaudry, Gestionnaire forestier professionnel en poste à l’Institut Européen de la Forêt et Gérant du Groupement Forestier Citoyen et Écologique (GFCE) du Turfu, qu’il a co-fondé en 2023 avec 12 associé(e)s. Depuis, le collectif est devenu propriétaire d’une forêt de 31 hectares sur la commune d’Escouloubre (11), avec pour objectif d’y pratiquer une sylviculture proche de la nature. C'est dans une prairie au pied de cette forêt, que Romuald nous reçoit.

Bonjour Romuald, merci de m’accueillir dans ton van le temps de cet entretien. Nous avons hâte que tu nous racontes ton aventure au sein du collectif du Turfu. Pour commencer, peux-tu te présenter rapidement ?

Mon parcours est assez atypique. J'ai commencé par un bac agricole en Normandie, car je voulais travailler dans la biologie et l'écologie. C'est durant cette période, au contact du monde agricole et des chasseurs, que j'ai développé une passion pour la forêt.

Après un BTS Productions Forestières à Mirecourt, j'ai intégré le CRPF de Normandie où j'ai travaillé de 1995 à 2008. En 2003, mon intérêt pour les forêts tropicales m'a poussé à prendre une année sabbatique à Madagascar pour travailler bénévolement en appui à des projets de reboisements paysans. J'ai ensuite repris mes études pour obtenir en 2007 un Master 2 en développement et aménagement des territoires à AgroParisTech et à l'Université de Montpellier, me spécialisant à cette occasion dans la foresterie carbone.

Cette expertise m'a permis de décrocher un poste passionnant à la Fondation GoodPlanet de Yann Arthus-Bertrand à Madagascar. Jusqu’en 2015, j'y ai travaillé au développement et à la mise en œuvre de projets de Réduction des émissions issues de la déforestation (REDD+), notamment en soutenant la création d’une nouvelle aire protégée dans le sud-est du pays.

Par la suite, j'ai participé à la création de l'ONG Nitidæ, poursuivant mon engagement en Côte d'Ivoire et au Sénégal sur des problématiques similaires. En 2020, désireux de rentrer en Europe, j'ai rejoint l'Institut Européen de la Forêt (EFI) à Barcelone où je travaille toujours au profit de projets de lutte contre la déforestation et de restauration des forêts financés par l’Union européenne au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

Ce retour en Europe a aussi été l’occasion de me ré-investir dans la gestion des 8 ha de forêt acquis en Normandie avant mon départ en Afrique et de me pencher sur la dynamique de la gestion écologique des forêts en France.

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Peux-tu nous en dire plus sur la génèse et la raison d’être du GFCE du Turfu ?

Je suis tombé un peu par hasard sur la dynamique des GFCE via un post LinkedIn de Pierre Demougeot, d'Avenir Forêt (NDLR : un autre GFCE du sud-ouest). J’ai été séduit par le modèle, et j’en ai parlé autour de moi, notamment à des amis collapsologues qui réfléchissaient à investir dans le milieu rural, pour y monter différents projets liés à l’auto-suffisance. Très vite, l’idée a suscité l’intérêt d’une dizaine d’amis qui, en plus de la sylviculture, s’intéressaient à la production de fruits ou à la valorisation du bois. J’ai alors choisi de concentrer mes recherches de forêt dans l’est des Pyrénées en tenant compte de la proximité de mon domicile à Barcelone et en croisant divers autres critères. Notre collectif rassemblant en effet des personnes aux origines très différentes, nous avions donc besoin d’un territoire ouvert et c’est ce que nous avons trouvé à Escouloubre, où résident même des éleveurs originaires de Madagascar ! A l’évidence, nous étions faits pour atterrir ici et contribuer à la pérennisation de cet esprit d’ouverture et de mobilisation générale au profit du re-développement du village.

Pourquoi avoir choisi les Pyrénées pour acheter votre première forêt ?

Au-delà de la proximité de mon domicile, je cherchais une forêt sous un climat qui nous laisserait un peu de temps pour l’adapter au dérèglement climatique. Malgré mes connaissances dans la forêt privée, c’est finalement via LeBonCoin que je suis tombé sur cette forêt située sur un versant nord à 1400 mètres d’altitude. Située dans un territoire à la biodiversité exceptionnelle, elle présente aussi un bon potentiel de production et de diversification, ce qui m'a tout de suite intéressé.

Lorsque j'ai rencontré le gérant du GF villageois qui vendait cette forêt, le contact est très bien passé. Mon premier argument a été de ne pas négocier le prix de vente et d’afficher notre volonté de contribuer au développement du village. Cela a montré notre sincérité et a permis de créer un lien de confiance. Le fait que je sois forestier a aussi joué en notre faveur. J'ai pu le rassurer sur la gestion que nous allions mettre en place en lui parlant de la Sylviculture Mélangée à Couvert Continu (SMCC), et en le rassurant sur le fait qu'il n'y aurait jamais de coupes rases dans cette forêt à laquelle les villageois sont attachés.

Pourquoi avoir choisi la Sylviculture Mélangée à Couvert Continu (SMCC) comme mode de gestion pour votre forêt ?

Nous avons fait le choix de ce mode de gestion, comme la totalité des autres GFCE, pour des raisons à la fois écologiques et économiques. En effet, si l’aspect écologique est avéré par des interventions plus raisonnées en forêt, la dimension économique est tout aussi intéressante. La SMCC est moins risquée, car elle diversifie la production à l’échelle de la parcelle, elle demande moins d'investissements, génère moins de charges et assure un revenu plus régulier dans le temps. En produisant des bois de qualité de manière régulière, la SMCC s'avère plus rentable sur le long terme.

Ce modèle de gestion durable nous permet aussi de nous inscrire pleinement dans l'écosystème du village. Nous voulons travailler avec les acteurs locaux, pourquoi pas en soutenant le conseil municipal également intéressé par le sujet de la relance d’une activité locale de sciage.

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Peux-tu m’en dire plus sur le territoire où nous nous trouvons ?

Le territoire où nous sommes est typique de cette zone des Pyrénées. La déprise agricole a laissé les forêts gagner du terrain, malgré la présence encore importante de l’élevage bovin. En parallèle, les villages se désertifient, manquant de commerces et de services. Avec les autres initiatives qui émergent ici ou là sur le plateau, on compte donc contribuer à la revitalisation d’Escouloubre, notre village d’accueil, notamment en soutenant la mise en œuvre de la charte forestière du territoire de la Haute Vallée de l’Aude.

La particularité des forêts des Pyrénées à cet étage altitudinal est la prédominance de hêtraies-sapinières naturelles, qui sont généralement bien gérées par les forestiers locaux. On trouve également des plantations résineuses soutenues par le Fonds Forestier National dans les années 60-70. C’est d’ailleurs d’une plantation FFN qu’est majoritairement issue notre forêt, plantée pour moitié en épicéa en 1975.

Quel impact positif souhaitez-vous apporter dans le paysage sur le court terme ?

Les coupes rases sont rares, car la culture forestière locale privilégie le traitement irrégulier. Les coupes rases sont de toute façon, irrationnelles : elles sont brutales pour la biodiversité, les sols et le paysage et coûteuses en termes de replantation, a fortiori dans des territoires avec de telles populations de cerf. Dans la droite ligne des principes de la SMCC, notre objectif est donc de trouver le bon équilibre en termes de production de bois et de préservation de l'environnement qui est assez remarquable localement.

Ce n’est pas évident car la gestion de la forêt de montagne présente des défis importants en raison de la difficulté d'accès et de la faible concurrence des acheteurs. Le prix du bois sur pied est vraiment très bas à tel point qu’on se demande parfois s’il n’est pas préférable de laisser les arbres debout... C'est pour cette raison que nous voulons aller plus loin que la simple vente de bois sur pied et explorer les possibilités de transformation locale pour apporter de la valeur ajoutée au bois et au territoire.

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Raconte-nous ce projet de valorisation locale de vos bois

J'ai vite réalisé que le prix qu'on nous proposait pour des bois de 50 ans était assez misérable. C'est presque comme un don pour l'approvisionnement en bois de la nation ! Comme dans l'agriculture, les propriétaires forestiers qui vendent la matière première ne touchent pas grand-chose, la grande majorité de la valeur étant répartie en aval de la filière.

Notre ambition est donc de développer les circuits courts : en sciant une partie des bois nous-mêmes et en les faisant éventuellement sécher, nous pouvons les vendre transformés et augmenter significativement leur valeur. Le metre cube de bois de sapin, par exemple, passe de 20 € sur pied à 350-400 € une fois mis en planches. Même si nous n’avons pas d’objectif de rentabilité dans notre GFCE, développer cette activité peut non seulement nous permettre de mieux valoriser notre bois mais aussi d’inviter la commune à en faire de même pour sa propre forêt qui nous jouxte, apportant ainsi une réelle valeur ajoutée au territoire. Nous poussons d’ailleurs conjointement certains acteurs publics à financer une étude de faisabilité à ce sujet.

Après la validation de notre nouveau Plan Simple de Gestion, nous avons réalisé notre première coupe cet été pour entamer l’irrégularisation et la diversification de notre forêt, à commencer par les plantations résineuses, certaines n’ayant même jamais été éclaircies. Au total, nous avons récolté près de 2000 m3 de bois, et nous avons fait appel à une scierie mobile pour en transformer une petite partie en plots ou planches, tous vendues au village ou dans le village voisin à des entreprises locales (menuisier, éleveur) et à des particuliers. Tout ne s’est pas passé comme prévu mais ce fût très riche d’enseignements pour la suite.

Quelle est votre ambition pour le GFCE du Turfu ? Souhaites-tu en vivre un jour ?

Je souhaite que notre groupement puisse contribuer, à son échelle, à la très belle dynamique des GFCE et de la SMCC en France. Je souhaite aussi continuer à renforcer nos liens avec ce village de montagne un peu déshérité qui nous a si bien accueilli et dans lequel on a envie de s’investir. Notre forêt est avant tout celle du village et on veut qu’elle reste ce lieu de vie, hospitalier et accueillant pour sa population comme pour la faune locale. À plus long terme, d'ici 10 ans, j'espère qu’on aura pu acheter d’autres forêts, pour atteindre environ 100 hectares - en fonction des opportunités qui se présentent et des futurs associés prêts à nous rejoindre (déjà une petite vingtaine aujourd'hui). Avec tous les partenaires publics / privés intéressés, nous voulons aussi développer cette activité de valorisation du bois et devenir un fournisseur régulier pour les projets locaux.

Si j’étais actuellement sans emploi, j'explorerais sérieusement la possibilité de vivre de ce GFCE, à l’image d’Avenir Forêt. C'est une vraie opportunité, intéressante à explorer pour des gestionnaires forestiers. Une fois que vous êtes bien implantés et que vous faites du bon boulot, les gens peuvent venir d'eux-mêmes vous proposer des forêts à gérer, voire à acquérir. Même si les propriétaires ne sont pas forcément vendeurs au départ, la confiance crée une dynamique. Je considère les GFCE comme une vraie piste d'avenir pour les forestiers, comme pour la société.

Merci Romuald et à bientôt en Forêt !

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Groupement Forestier du Turfu
Groupement Forestier Citoyen et Écologique (GFCE)

  • Localisation : Escouloubre, Aude (11)
  • Date de création : 2023
  • Nombre d'associé(e)s : 13
  • Surface de forêt : 31 hectares
  • Gérance : Romuald Vaudry, gestionnaire forestier