Le temps d'un long week-end d'octobre, le village d'Escouloubre dans les Pyrénées est devenu le rendez-vous incontournable des collectifs forestiers citoyens et écologiques de France. Comme chaque année depuis 2020, l’équipe de l’association Forêts Partagées a réuni adhérents, bénéficiaires et sympathisants pour trois journées studieuses et passionnées, alternant sessions d’entraide, travaux pratiques en milieu forestier et réflexions stratégiques pour l'avenir du mouvement. Cette année, nous venions rendre visite à Romuald et Adeline, membres du GFCE du Turfu qui s’est porté acquéreur d’une forêt de 31 hectares dans les hauteurs du village.

Un accueil local et chaleureux
Vendredi matin - Après une arrivée au son du brâme du cerf et un dîner convivial la veille, les Rencontres d’automne ont officiellement été lancées au sein du Foyer communal d’Escouloubre, prêté pour l’occasion par la Mairie du village. Après un petit-déjeuner et un brise-glace “sous les platanes”, la trentaine de participants et de participantes ont été accueillis par Gaston Tribillac, Adjoint au Maire, et Romuald Vaudry, Gérant du GFCE du Turfu, dont nous avons visité la forêt, deux après-midis de suite. Après nous avoir souhaité la bienvenue, M. Tribillac a pris le temps de nous raconter l’histoire d’Escouloubre, village de 75 habitants, ainsi que l’importance que l’eau et les forêts ont toujours eu dans le développement local. Romuald a ensuite pris la parole pour nous raconter la génèse, l’actualité et les ambitions de leur aventure citoyenne et forestière. Pour en savoir plus sur le GFCE du Turfu, nous vous invitons à consulter cet article récapitulatif.

Dans le cadre de cette introduction au territoire, nous avons également eu la chance de compter parmi les intervenants, Jean-Christophe CHABALIER, ingénieur forestier du CNPF en charge de l’Aude et des Pyrénées Orientales. Ce dernier a pu revenir sur le rôle de cet établissement public et ce qu’il pouvait apporter à des acteurs tels que les collectifs forestiers citoyens et écologiques. Il a également pu nous en dire plus sur les nombreux enjeux forestiers du territoire : la forte pression des ongulés sauvages, le dépérissement de l’épicéa et du sapin et son impact sur les filières concernées, et le danger bien réel des feux de forêts. Avant d’entamer l'ascension des Pyrénées, certains d’entre nous avons traversé une partie des 30 000 ha de forêts qui ont brûlé cet été dans l'Aude, sur le massif des Corbières.
Une matinée sous le signe de l'entraide
Après cette mise en bouche qui nous a permi d’en apprendre plus sur le territoire où nous nous sommes tous et toutes retrouvées pour ces rencontres, quatre ateliers de co-développement ont été organisés en parallèle :
- GOUVERNANCE - Animé par Pierre Demougeot, co-Gérant du GFCE Avenir Forêt et initiateur de la dynamique de Forêts Partagées. Cet atelier consistait à transmettre de bonnes pratiques d’organisation pour structurer un cadre démocratique viable pour les collectifs citoyens. En effet, si toutes les structures que nous accompagnons organisent des Assemblées Générales annuelles pour décider des orientations stratégiques, certains collectifs vont plus loin dans la contribution de leurs membres et tendent même vers des sociocraties. Une diversité de modèles qui témoigne de la richesse de notre communauté, et qui permet de tirer profit des expériences de chacun(e). L’atelier s’est conclu par un débat sur la différence entre les notions de “militantisme” et de “citoyenneté”.
- ACQUISITION DE FORÊT - Animé par Benoît Coulée, gestionnaire forestier professionnel et Gérant de Green Forest, qui en 5 ans a réussi à acheter près de 300 hectares de forêt en Isère. Sans réseau dans le monde sylvicole, il est difficile de trouver des forêts à acheter qui ne soient pas soumises à une forte concurrence d’acheteurs potentiels. L’idée de cet atelier était justement d’apporter des conseils sur la mise en place d’une veille forestière, la détermination des critères d’achat, le développement d’un réseau local et d’une posture crédible, mais aussi les pièges à éviter lorsqu’on a (enfin) repéré une forêt à vendre.
- PROJET ÉCONOMIQUE - Animé par Denis Hubert-Brierre, co-fondateur et trésorier de Forêts Partagées mais également co-créateur du fichier de comptabilité, utilisé par plusieurs dizaines de collectifs à l’heure où vous lisez ces lignes. L’objectif étant d’aider les participant(e)s à appréhender la dimension économique de leur projet d’acquisition et de gestion forestière, dans l’idée de développer leur structure sur le long-terme. Il a été question de coupes et de travaux forestiers, de subventions, d’investissements et de suivi rigoureux. Nous réfléchissons à formaliser cet atelier en ligne pour éviter que la dimension économique ne soit trop négligée par les collectifs.
- LANCER SON COLLECTIF - Animé par Emmanuel Repérant, Président de Forêts Partagées et par Gabriel Boccara, Gérant du GFCE Mielikki. En petit comité, les participant(e)s de cet atelier ont pu présenter où ils en étaient de leur (jeune) projet de création d’un collectif forestier citoyen, et recevoir des conseils sur les étapes essentielles et à ne surtout pas négliger pour poser des bases solides à sa structure, éviter les erreurs cachées et maintenir une dynamique de développement saine. Nous espérons que les 5 participant(e)s se lanceront très prochainement dans la création de leur structure, au grand bonheur des forêts !
Pour retrouver le contenu de ces ateliers, rendez-vous sur le wiki Forêts Partagées.

"Ma seule frustration du week-end a été de ne pas pouvoir me dédoubler pour participer à tous les ateliers proposés !"
Une après-midi en forêt sous le thème de l'irrégularisation
Vendredi après-midi - Après un déjeuner typique des Pyrénées, à base de nouilles sautées et de bo-buns, nous chaussons nos paires de bottes pour nous retrouver dans la forêt du GFCE du Turfu. Nous enjambons un ruisseau où le desman des Pyrénées aurait élu domicile, pour retrouver Romuald Vaudry, notre hôte. Il enfile alors sa casquette de gestionnaire forestier pour nous présenter les lieux. En forme de banane, et située au bas d’un versant nord, cette forêt de 31 hectares d’un seul tenant est composée aux deux tiers de plantations résineuses (épicéa, sapin, pin) d’une cinquantaine d’années où ont été parfois conservés des ilôts ou bandes de hêtre. Le tiers restant est composé d’un mélange futaie - taillis à base de hêtre, sapin pectiné et pin sylvestre.
Les traces d’exploitation sont encore fraîches, car l’été passé, le GFCE a organisé sa première coupe. Au total, 2000 m3 de bois rond furent récoltés, principalement par abattage mécanisé l’objectif de cette coupe étant multiple : entamer l’irrégularisation des peuplements, favoriser autant que possible leur diversification et apporter de la lumière au sol pour stimuler la régénération naturelle fortement mise à mal par la forte pression des ongulés sauvages (cerf, chevreuil isard). En plus de leur travail de plaidoyer vis-à-vis de l’accroissement du plan de chasse,Romuald et ses associé(e)s testent également des solutions de protection individuelle, tels que les pinces-bourgeons installés sur les bourgeons terminaux de certains semis jugés d’avenir. Un piège-caméra bien placé nous a d’ailleurs permis de constater l’efficacité de ces protections légères ; un jeune cerf d’abord interpellé par ce bout de plastique bleu, décide de laisser le semis tranquille après l’avoir reniflé. A voir si tous auront le même bon réflexe…

Nous continuons de parcourir le bas de la parcelle, tout en semant des glands de chênes ici et là, distribués en amont par Adeline, associée du GFCE du Turfu également présente pour épauler Romuald. Les questions fusent et permettent de lancer d’intéressants débats, Romuald apprécie de pouvoir s’appuyer sur les recommandations des autres forestiers présents aux rencontres, qui n’hésitent pas à partager leurs propres expériences. Il y a d’ailleurs fort à parier que Romuald adapte quelque peu la prochaine exploitation forestière pour mieux répondre aux enjeux de préservation des sols forestiers et de maintien de bois mort en forêt. Le temps est passé vite, il est déjà l’heure de rentrer. Nous passons sous les feuilles d’un pommier égaré en plein milieu de la forêt, nous redescendons entre les triangles verts marqués sur des hêtres centenaires, et Romuald nous pointe du doigt un des îlots de sénescence sanctuarisé pour préserver une zone humide.
Une fois rentrés au foyer communal, différents groupes se forment. Certain(e)s vont profiter des sources chaudes (tièdes) d’Escouloubre, d’autres partent à l’écoute du brâme du cerf ou vont visiter les vitraux de l'église du village, construite au XVIème siècle. Nous terminons cette belle journée d’automne par un dîner dans une magnifique bâtisse à flanc de falaise, où nous avons pu déguster de délicieux fondants, qui s’avérèrent finalement être des coulants… ou des mi-cuits, on ne saura peut-être jamais..

"Je reste toujours sur ma faim quand on me parle de Sylviculture Mélangée à Couvert Continu (SMCC), mais c'est normal, ça demande beaucoup d'expérience sur terrain, et grâce à vous, j'en ai une de plus !"
Vous reprenderez bien un morceau d'intelligence collective ?
Samedi matin - Retour au foyer communal, où après un petit-déjeuner de pommes et de fromages en tous genres, nous lançons la seconde série d’ateliers. Cette fois-ci, n’importe qui au sein des participant(e)s peut proposer un thème, soit pour transmettre une expérience, soit pour demander un coup de main sur un défi en particulier.
- SUBVENTIONS - Simon Bailly, chargé de mission Natura Impact chez WWF, a organisé un atelier sur les subventions disponibles pour les propriétaires forestiers qui œuvrent à une gestion durable. Il en a profité pour donner des conseils sur les bonnes pratiques à adopter lorsqu’on remplit ce type de dossier, afin de maximiser les chances d’obtenir une aide.
- SAFER - Benoît Coulée a partagé sa perception de la SAFER après plusieurs dizaines d’achats forestiers. Une institution publique à connaître lorsqu’on s’est donné comme mission d’acheter des forêts pour les préserver. Chaque participant(e) a pu exprimer sa propre expérience, confirmant que les Directions Régionales n’avaient pas toutes le même positionnement vis-à-vis des initiatives telles que les GFCE.
- OUTIL DE GESTION - Emmanuel Repérant a proposé un atelier pour parler de la priorisation des nouvelles fonctionnalités à développer dans l’outil de gestion que nous avons conçu pour faciliter la gestion administrative d’un collectif forestier citoyen et écologique.
- ANIMATION DE COMMUNAUTÉ - Elise Gadaud a réuni plusieurs participant(e)s pour partager des idées d’activités à proposer aux membres de leurs collectifs respectifs. Que ce soit des actions en lien avec la sylviculture, la biodiversité, ou encore des moments plus informels pour renforcer les liens.
- RETOUR SUR LA CRÉATION D'UNE ASLGF - Jean-Jacques le Creurer a pris le temps de raconter lors de son atelier, son expérience dans l'émergence d’une association syndicale libre de gestion forestière (ASLGF), une structure parallèle au Groupement Forestier Tardes et Rozeille, qui permet de mobiliser d’autres petits propriétaires forestiers dans une gestion durable de leur forêt.

Suite à ces ateliers de co-développement, nous avons laissé la parole à Jacques Blot, bio-géographe, chercheur et photographe naturaliste, pour une intervention sur le thème de l’adaptation des forêts au dérèglement climatique, en mettant l’accent sur l’importance de préserver les sols et de ne pas dénaturer les flux hydriques. Une conférence qui a été particulièrement appréciée des participant(e)s, notamment l’approche scientifique et terrain présentée par Jacques, qui passe beaucoup plus de temps en forêt qu'au labo.
On retourne en forêt ?
Samedi après-midi - Il est temps de remettre les bottes, même si le temps est radieux et que le soleil sublime les couleurs des feuilles d’automne (quel poète). Nous retournons dans la forêt du Turfu, mais cette fois-ci, par le haut. Dans cette zone, l’exploitant a laissé sur pied quelques arbres marqués (qui auraient donc dû être exploités), ce qui est embêtant pour Romuald, mais pratique pour notre sortie en forêt. Après s’être répartis en trois groupes dirigés par Romuald, Pierre et Benoît (les trois gestionnaires forestiers de métier présents à l’événement), nous avons pratiqué quelques exercices de dendrométrie, en calculant des hauteurs, des diamètres et des surfaces terrière. En bonus, nous avons pu aller voir les arbres marqués pour essayer de comprendre la sélection de Romuald. Un exercice ludique que nous chercherons à dupliquer à l’avenir car c’est l’essence même du métier de gestionnaire forestier, que de choisir l’arbre à récolter, ou non.

"J'ai été impressioné par la diversité des profils présents, c'était un vrai plus d'avoir quelqu'un du CNPF, de WWF et d'ECOFOR avec nous, ça a rendu les échanges encore plus intéressants que d'habitude ! À réitérer pour la prochaine édition"
De retour au foyer communal, Paul Bresteaux, chargé de mission au GIP Ecofor, a dressé un état de l'art passionnant sur la recherche forestière en France. Un sujet crucial pour l'avenir des forêts. La mission du GIP Ecofor est justement de créer des ponts entre différents programmes de recherche (très) spécialisés (sciences sociales, sciences du vivant et sciences économiques), dans le but de développer des expertises collectives et systémiques.
Mais la recherche n'est pas la seule à jongler avec les dimensions économiques, écologiques et sociales de la forêt. Les collectifs forestiers citoyens et écologiques présents à ces rencontres sont d'excellents exemples. Ils composent au quotidien avec ces trois piliers, ce qui en fait des modèles émergents intéressants à étudier pour les chercheurs qui veulent adopter une approche systémique de la forêt !
Toute bonne chose a une fin
Plus qu’un simple rassemblement, cette édition des Rencontres d’automne dans les Pyrénées a été une véritable infusion de compétences, d'énergies, de ressources et de visions partagées. En confrontant les défis de terrain (irrégularisation, dendrométrie, pression des ongulés, résilience au changement climatique,…) aux enjeux stratégiques (gouvernance, acquisition de forêts, projet économique,...), chaque collectif est reparti non seulement outillé, mais surtout renforcé par l’expérience et l’intelligence collective de la communauté. Les discussions avec les experts, chercheurs et élus locaux ont confirmé la pertinence et la légitimité des modèles de gestion sylvicole collective et écologique que nous défendons.

Ce week-end studieux dans le magnifique village d’Escouloubre n'est qu'un maillon dans une chaîne bien plus vaste : il témoigne de la montée en puissance claire d'un mouvement des collectifs forestiers citoyens et écologiques en France. Un mouvement qui fait le pari d'une sylviculture douce, respectueuse du vivant, et ancrée dans les territoires.
L'association Forêts Partagées est au service de cette dynamique et plus que jamais déterminée à équiper, soutenir et connecter ces initiatives. Nous continuerons à développer cette démarche d'expertise partagée, afin qu’elle ne cesse d’irriguer chaque nouveau projet. Nous mettons tout en œuvre pour que l'impact de cette gestion citoyenne et écologique continue de grandir et de transformer durablement le rapport de notre société à la forêt.
Les rencontres en quelques chiffres
- 34 participant(e)s sur 2 jours
- 22 collectifs forestiers citoyens et écologiques (GF, associations, FDD...)
- 8 ateliers de co-développement sur des thèmes variés
- 3 interventions éclairantes et inspirantes
- 2 sorties en forêts pour comprendre l'irrégularisation
- 2 dîners "banquet" pour découvrir la cuisine locale
- 1 brise-glace d'une heure sous les platanes (record du monde)
Allez, on vous met encore quelques photos





